20 Janvier
Au bureau exécutif de L’Assaut Final
Un simple coup d’œil sur votre fameuse lettre nous a permis de déceler votre nostalgie de la belle époque où vous introduisiez l’ère des agressions tant verbales que physiques ; De notre côté, nous avons décidé de ne plus mâcher nos mots, assurés que la simple diffusion de vos correspondances sur les ondes de la radio suffit pour porter nos universitaires et les chercheurs en particuliers à apprécier à sa juste valeur l’observation du comte de Buffon quand il disait que le style c’est l’homme même ! Nous devons vous apprendre aussi que la persistance de vos courriers à notre adresse a éveillé notre sens de l’observation psychologique jusqu'à dévoiler votre soif d’un face à face à la télévision. Elle se révèle aussi la sécrétion d’une intelligence pernicieuse cherchant à nous enlever la confiance du pouvoir établi, quand dans chacune de vos lettres vous dirigez des attaques camouflées à la personnalité dudit pouvoir.
Le moment est venu pour nous de vous apprendre que nous n’étions jamais dupes de vos pratiques malhonnêtes et criminelles à la fois. Nous voulions tout simplement appliquer la sagesse de l’homélie du père Duverneau délivrée il y a déjà deux mois, nous voulions créer un climat qui reflèterait la sagesse de l’homélie du père Duverneau, un climat où aucune des deux parties ne rechercherait la gloire d’une victoire empoisonnée mais où l’une et l’autre se flatteraient d’abandonner l’épée au fourreau pour panser de préférence les blessures de la nation. Heureusement, dans son dernier communiqué en date, le conseil des patriotes volontaires a dénoncé l’existence de poches de résistance et de tentatives d’assassinat menées par des hommes de l’ancien régime, nous comprenons dès lors que l’assassinat deux fois manqué de l’Evêque Batramond et le sac de la Basilique St Sylvestre par des groupements populaires sous le gouvernement renversé n’étaient que l’application des enseignements du président Marlboro. Nous nous rappelons dès lors les promesses antérieurement faites au peuple par Julien Marlboro lors de sa campagne, promesses qui prêchaient l’évangile du faux prophète, l’évangile de la vengeance, l’évangile de la violence.
Selon cet évangile il n’y a pas de sacré que le peuple, de volonté que la sienne, de force indomptable que celle de ses fils. Selon cet évangile, il n’est pas bon que les fils du peuple passent le temps à cultiver la terre ; il n’est pas bon que les femmes fassent le commerce des vivres alimentaires entre les villes de province et la capitale. Dans la société vilparisienne les paysans et les petits commerçants sont considérés comme des sous-hommes, des citoyens de classe inférieure. Le messie viendra qui renversera la dynastie des Césars et conduira le peuple au secret de la vie facile, au secret du respect de la dignité humaine.
Ô blasphème ! Dieu, le tout puissant eût longtemps détruit le trésor de César, s’il l’eut voulu. Il le laisse croître et prospérer afin de demeurer un sujet de tentation à la face du croyant. Le trésor est inépuisable parce que César croit dans l’exploitation. Pour lui, seuls comptent les biens matériels. Il y investit une foi aveugle. C’est, en d’autres termes, la sincérité de sa foi qui rend le trésor de César inestimable. N’est-il pas dit dans Mathieu chapitre 6 verset 21 : « car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.»
A ce sujet, vous devez savoir que l’échec des coups de feu parvenus jusqu'à l’intérieur de la cathédrale a porté Père Duverneau à écourter son homélie de dimanche dernier. Mais vous ignorez peut être que l’éminent orateur de la maison Papale avait tout de même la présence d’esprit de distribuer des dépliants dont le contenu s’articule autour d’une citation tirée de Mathieu chapitre 4 : « Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’étant approché, lui dit : ‘si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains’ Jésus lui répondit : ‘il est écrit : l’homme ne vit pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu’. »
En conclusion, le tribun faisait ressortir que si César brille par l’accumulation du pain matériel, le chrétien doit, de son côté, accepter les années de disette et les humiliations de son appartenance sociale comme la condition sine qua non pour accéder au pain du salut de l’âme, le salut éternel.
La citation, bien avant ces derniers, de certains passages n’est pas gratuite. Elle vous causera certainement le déplaisir de réaliser que l’éloquence rageuse du faux prophète avait forcé les auditeurs prudents à conserver dans leur carnet confidentiel et à l’encre indélébile toutes les prédictions qui valaient la peine d’être retenues. Aujourd’hui, grâce à l’opération salvatrice inespérée des Patriotes Volontaires, nous commençons à recouvrer l’usage de nos facultés mentales, à retrouver notre droit à l’existence. Et nous tremblons encore de frayeur au seul rappel du brasier que nous venons de traverser sous la poursuite bien organisée des adeptes de l’évangile Marlborosien.
Aujourd’hui, vous commencez à trembler, vous aussi, à l’approche infaillible du retour à l’ordre constitutionnel. Vous commencez à trembler, vous aussi, en apprenant les noms de certaines personnalités devant composer le cabinet ministériel. Quant à ce dernier point, la formation du cabinet, c’est une nouvelle qui vous apprend sans détour que la disposition # 3 du gouvernement dans son message du 3 janvier écoulé, a été accueillie favorablement et avec célérité. Il est donc inutile de vous apprendre que l’espoir d’un débat télévisé auquel vous tenez tant s’est bel et bien évanoui ; car les mesures sont maintenant à l’étude, qui séviront contre tout organe de presse qui aura encouragé l’éloquence du verbe ordurier et suborneur des grands penseurs de l’Assaut Final. En effet, seuls ont raison de trembler ceux-là qui portent le manteau d’hommes de main, le manteau d’exécutants ; seuls ont raison de trembler, des architectes de la machine de destruction qui a fauché tant de porteurs d’espérance et de liberté, pour nous laisser aujourd’hui une société plongée dans le cauchemar et le traumatisme.
Votre problème, messieurs les gérants de l’Assaut Final, c’est de sentir votre parti en voie de dissolution, ce qui vous laissera sans protection face aux persécutions pressenties du gouvernement des Patriotes Volontaires. Votre impression est juste quant à la dissolution du parti. Dissolution naturelle étant donné que nos concitoyens ne risqueront plus ni leur prestige d’hommes ni leur droit à l’existence dans une organisation de malfaiteurs. Mais s’agissant de persécutions, votre impression est fausse. Le conseil des Patriotes Volontaires entend inaugurer à Vilparis le règne de la justice et du respect de la personne. Il va sans dire que l’usage de représailles et de règlements de compte sera considéré comme une pratique rétrograde ; ce règne appliquera la synthèse des grands dossiers de l’histoire, mais invitera les hommes politiques à ne jamais oublier que la gravité des offenses causées à la France avait dressé la guillotine à la hauteur de Robespierre tout comme elle l’avait dressée à celle de Louis XVI.